Quels sons fabrique-t-on, et quels sons entend-on à Bruère-Allichamps ? Comment l'ensemble des sons, qu'ils soient l'effet du travail ou la signature de la nature, la trace de la mémoire ou l'indice des relations humaines, dessine-t-il une appartenance commune à un territoire partagé ?
Comment les sons construisent-ils ce territoire autant qu'ils le révèlent ?
Chaque page de ce site répondra à ces questions. Bonne navigation !
La Bibliothèque de sons vous permettra de réentendre, de mieux comprendre, et peut-être de mieux apprécier les différents sons des lieux où l'on vit, aujourd'hui, à Bruère-Allichamps.
Le Bocage de Noirlac
Adresse / lieux-dits :
Croquis d’oreille
"Concert en Bocage"
Printemps 2010, à la tombée du jour, dans le bocage qui borde la rive ouest du Cher, à quelques centaines de mètres à vol d’oiseau de l’aire de jeu de Bruère, et à deux pas de l’autoroute Paris-Clermont-Ferrand. Dans ce territoire des oiseaux et des batraciens que la circulation des camions n’a pas encore réussi à réduire au silence, la faune est notre professeur de musique. Il a fallu segmenter en deux « mouvements » ce « concert » pour le faire entrer dans les formats de notre site. Mais un tel découpage est bien arbitraire ! Tout comme l’est, à l’évidence, la façon dont oiseaux et rainettes organisent la durée de ces deux séquences, et dont l’auditeur, qu’il soit ou non averti, pourra, s’il le désire, restaurer la continuité.
Car il s’agit bien, ici, de durée, d’un temps sans vrai début ni fin certaine, dans laquelle, grâce au micro, nous installons notre écoute. Pour y reconnaître des oiseaux, certes : grives musiciennes, corneilles noires, rossignols philomèles, merles noirs. Mais bien davantage encore : tout ce dont la musique savante s’est toujours servi pour construire ses propres formes, et, paradoxalement, pour tenter de conférer un sentiment d’improvisation aux musiques les plus écrites et les mieux organisées, dont la nature est ici même le théâtre. Avec pour traits dominants la diversité et la présence de la plupart des éléments qui sont la matière du langage musical.
Mélodie : écoutons ces progressions par paliers de sons ponctuels ; ces glissandi ; ces successions de degrés conjoints ; ces grands intervalles en forme d’appels ; ces recto tono.
Durée : telles ces interjections ; ces longs cris des corneilles noires en bandes ; ces séquences mélodiques en boucles ; ces interruptions soudaines ou ces irruptions brutales des rainettes et des corneilles.
Intensité : comme ces hurlements à perdre haleine et ces contrepoints à peine perceptibles, en mode d’ornementation.
Polyphonies : voici l’opposition entre chœur et solistes ; les successions d’appels et de réponses ; le son continu de l’autoroute trop proche, tel un bourdon, et miroir inversé des paysages sonores de la page qui leur est consacrée.
Mise en espace : ainsi, ces trajectoires sonores, ces oppositions latérales, cette profondeur du lointain d’où proviennent certains sons, derrière l’écran des premiers plans.
Architecture, enfin : celle de la durée. Dans le second « mouvement », par exemple, les rainettes prennent progressivement possession de l’espace sonore, après s’être timidement invitées à la fin du premier mouvement. Ou bien, par moment, un accord semble s’imposer pour que tous se taisent et que, par l’effet d’un contraste subit, le silence puisse faire éprouver sa présence.
Comment les oiseaux et les grenouilles sont-ils donc si savants ? Parce que rien de tout cela n’est « vrai »… En tête de chacune de ces rubriques , il aurait fallu écrire, comme Monet, « impression ». La nôtre, celle de tout auditeur de passage. Pas plus que les sons du supermarché, de l’usine ou de la circulation ne seraient étrangers à la poésie sonore, les sons de la nature ne sont indépendants de la perception que l’homme s’en fait. Comme l’écrivait Aragon à propos de la peinture de Matisse : « Ce que Matisse exprime est dans la nature… La nature vue par lui. Ce n’est pas une invention pour oublier la nature. C’est une invention pour la voir ». La « science » musicale des oiseaux et des grenouilles n’est qu’une page blanche, mais sonore, sur laquelle c’est nous qui imprimons, en projection, ce que nous y reconnaissons des musiques humaines.