Les Verand’Or : familles de grincements

De même que le patrimoine sonore de Bruère-Allichamps recèle une cohérence qu’une oreille attentive peut apprendre à discerner, de même, l’atelier de fabriques de vérandas de l’entreprise Les Verand’Or est l’un de ces lieux qu’un ensemble de sons organisés entre eux rend immédiatement reconnaissables.

Cette séquence est d’abord un recensement, auquel le technicien a bien voulu se prêter, de façon quasi-exhaustive. On y entend, au fil du parcours, la diversité contrastée des sons de machines-outils et des gestes qui les manipulent. Comme la fonction commande l’organe, la fabrication commande le son, indissociable du geste qui le manipule et du matériau sur lequel celui-ci s’applique. Successivement : la scie à métaux, la fraiseuse, la perceuse à colonne, la poinçonneuse (sur le pvc, puis sur l’aluminium), les soufflettes, l’air comprimé des outils, les différents sons de manipulation (table à rouleaux, transpalettes). Cet ensemble en nombre fini, dont la perception est répétée jour après jour, est extrêmement ciblé : il constitue un capital perceptif, lié à un jeu de savoirs-faire constitutifs d’un corps de métier.

Ces sons n’ont, en tant que tels, rien de particulièrement agréable à l’oreille d’un mélomane, vite agressée par leur stridence, leur intensité, et leur caractère ininterrompu. C’est le moment, cependant, de tenter l’expérience que recommandait John Cage : « Quand un son vous dérange, écoutez-le ! ». Oublions-en un instant la cause, imaginons qu’ils proviennent d’animaux rares ou d’instruments de musique éloignés, et déjà nous les écoutons autrement : à travers la stridence, nous entendons une grande variété de fréquences, et comme un miroitement de graves et d’aigus ; des pics d’intensité maximale, par exemple lors de l’abrasion du métal, font place, soudain, à des ronronnements de turbine d’une grande douceur ; la continuité de certains sons linéaires, blessante pour l’oreille, s’inscrit dans une alternance plus large de son et de silence qu’on sait dictée par le geste ; elle rythme aussi notre perception  par des événements inattendus : l’intervention d’un nouvel outil, un entrechoc subit, un frottement de matériau sur le sol ou la table, et cette « narration sonore » devient dès lors acceptable.

A trois reprises, enfin, la cohérence fonctionnelle de cet ensemble est soulignée, de façon abrupte, par un son qui lui est étranger : celui de la sonnette du hall de l’entreprise. Ce son d’une tout autre nature nous fait brutalement changer de cadre perceptif. S’il peut paraître plus harmonieux du point de vue acoustique, et plus humain du point de vue relationnel, son irruption soudaine, dans ce contexte, sonne comme une perturbation. Il nous rappelle opportunément que, comme partout ailleurs, le paysage sonore de Bruère, est fait, à chaque instant, de l’emboîtement et de la coexistence de milieux autonomes seulement en apparence.