Petit paysage autoroutier

 Voici un véritable tableau sonore. A l’intérieur d’un cadre vide posé par le preneur de son au pied de l’autoroute, près le pont de Bigny, d’imprévisibles trajectoires s’entrecroisent, rayant la « toile » dans les deux sens, venues on ne sait d’où –du moins pour l’auditeur-, allant nul ne sait où. Notre oreille n’en maîtrise que quelques secondes, , immédiatement renouvelées sitôt évanouies. Jankélévitch entendait dans la musique une figure privilégiée de ce qu’il appelait « l’apparition disparaissante », qui est la forme du temps.

Dans ces voitures et ces camions, sur ces motos et dans ce train, pourtant, des chauffeurs savent où ils vont. Mais le son n’en dit rien. Rarement conduite humaine laisse si peu entrevoir l’intention qui l’anime, tout en créant une grande cohérence formelle.

Tous ces « sujets » qui s’ignorent et se croisent ont en commun, sans le savoir, d’être les « peintres » d’un tableau qu’aucun d’eux n’écoute ni ne conçoit. Cette « foule solitaire » est aussi sourde qu’elle est bruyante. A nous qui l’écoutons, elle présente l’image peu rassurante d’un monde sans sujets, parce que sans écoutants.

Ces fragments d’existence prélevés sur le temps sont intermittents : chaque passage de véhicule montre un avant et un après, un début et une fin. Certains d’entre eux sont précédés et/ou suivis d’une phase de silence qui confère à l’ensemble de la séquence un sentiment de précarité formelle et d’imprévisibilité. Et ces phases de silence elles-mêmes, quand elles se produisent, y ajoutent un fort effet de contraste.

Mais ces fragments sont aussi réglés par deux modes contrastés de temporalité :

-              le premier, le passage des véhicules, met en œuvre une modulation de l’intensité ;

-              le second, les sons de la faune (batraciens et oiseaux d’une grande diversité, nullement gênés par les sons de ce fleuve automobile), prend la forme de plusieurs ostinatos entrecroisés de façon aléatoire en structure polytyhmique.