"Une oreille affûtée" : M. Lavalette, artisan menuisier

Si certaines personnes prétendent « entendre les mouches voler », la façon dont Monsieur Lavalette écoute le monde n’est pas de cette nature. Non pas qu’il manque d’acuité auditive, ou que le son des mouches serait pour lui trop ténu, mais parce qu’il n’aime écouter que ce qui l’intéresse, et, plus encore, parce que presque tout l’intéresse. Qu’est-ce qu’une mouche pour une oreille capable de tout entendre -« tout ce qui se présente », et ce qui donne vie au présent ?

N’avoue-t-il pas, quelques semaines après notre rencontre, « entendre désormais d’une autre façon le bruit rendu par certains de ses outils » ?  Il avait été prolixe pour analyser la part de l’écoute dans l’apprentissage et dans l’exécution des gestes de métier. Mais ses propos ne faisaient écho qu’aux questions du chercheur. Celles-ci sont inspirées par l’analyse : cet objet, cette voix, ce son venu du dehors ou de l’intérieur de la maison, « comment l’entendez-vous ? ». L’écoute du menuisier n’est pas celle-là : elle est synthétique. Comme parmi les matériaux ou à travers les outils de son atelier de La Celle-Bruère, elle sélectionne, au moins,  ce qui répond à ses besoins, et, bien davantage, ce qui s’intègre à  son expérience globale. Celle d’un habitant de Bruère attaché à son environnement, auquel presqu’aucun nom n’est inconnu, et auquel les objets racontent toujours quelque chose de nouveau. Ainsi, comme pour nous tous, mais à des degrés divers, chaque objet entendu est-il avant tout reconnu comme un témoin de cette expérience : l’habileté à savoir tout « faire », la violence ressentie des sons incivils, la perception d’un monde qui change, la passion des véhicules anciens, des tracteurs et des savoir-faire de la mécanique. De tout cela, le son n’est qu’un élément, mais il est propre à résumer  l’ensemble des perceptions.

En somme, l’oreille de Monsieur Lavalette n’est pas tant celle d’un menuisier que celle de son atelier. Elle est un milieu disponible, et comme le réservoir d’une expérience polyvalente où se croisent les traces de ses tours de main et les objets-témoins de ses centres d’intérêt. L’écoute constante et attentive qui est la sienne n’est qu’une modalité parmi d’autres de son être-au-monde, quelque-chose qui lui parle de l’univers qui l’entoure, comme la rudesse de l’hiver ou la couleur de l’été.